• Des Femmes bien informées de Carlo Fruttero

     Des Femmes bien informées – Carlo Fruttero

    2006 - Éditions Robert Laffont – Pavillons poche 

     

     En 3 mots…

     

    Tournesols, punition, dissimulation

      

     Impressions de lecture…

     

    Je ne suis pas une grande amatrice de polar, j’en lis peu. Mais je trouvais le postulat de celui-ci plutôt attirant. Bien sûr au commencement : un meurtre, puis l’histoire est racontée par huit femmes différentes, toutes mêlées à l’affaire, de près ou de loin. L’idée de jouer sur les différents points de vue, les interprétations et les dissimulations me semblait très intéressante. Les romans polyphoniques bien menés ont un certain charme. Sans être une véritable déception - le roman tient ses promesses sans brio -, le livre n’a pas été un coup de cœur. En quelques mots : une jeune prostituée d’origine roumaine est retrouvée morte dans un fossé, une première fois par une serveuse qui ne le signale pas à la police, puis par une surveillante de collège qui, elle, appelle les autorités. Voici donc les deux premières voix féminines : la surveillante chef et la serveuse. Chaque chapitre marque un changement de voix, en nous indiquant qui prend la parole. L’enquête est lancée, par la police mais aussi, parallèlement, par la presse ; deux nouvelles narratrices donc : la carabinière et la journaliste. On remonte jusqu’au mari de la victime, puisque la petite prostituée roumaine avait réussi à se dégoter un riche banquier qui venait de l’épouser en juste noce. La fille du dit mari et la meilleur amie de sa première femme défunte rejoignent le groupe des raconteuses, le portant au nombre de sept. La huitième n’intervient que le temps d’un chapitre, il s’agit d’une vieille comtesse qui, retranchée dans la tour de son château, observe à la ronde.

     

    La construction fragmentaire, si elle a la vertu de maintenir le lecteur en éveil et de stimuler son imagination et son esprit de déduction, n’est ici pas très originale. Elle est utilisée efficacement mais sans rien créer de bien palpitant, sans surprises et sans retournements habiles. Même si l’auteur fait des tentatives, comme l’intervention tardive et unique de la huitième femme, la comtesse. Puisqu’elle observe du haut de sa tour, elle est sans doute censée apporter un éclairage nouveau, différent, sur un évènement, nous faire prendre un peu de hauteur, dire quelque chose sur le voyeurisme ou l’idée des points de vue… je ne sais pas. Mais son intervention (même si le personnage, au demeurant, est charmant et réussi à être plus attachant, en un seul chapitre, que tous les autres) ne sert à rien.

     

    Des effets de forme, l’auteur en utilise plusieurs. À commencer par la dimension polyphonique donc, qui est, je trouve, à demi ratée. Certes se met en place une galerie de portraits féminins, et en creux, à travers ce qu’elles racontent, des portraits masculins (Giacomo le veuf et riche banquier, Semeraro qui travaille au centre de protection et de réinsertion de Vercelli, ouvert par le prêtre Traversa, Gilardo le flic, Cesare le mari de la surveillante…) esquissant même une petite peinture (analyse ? satire ?) des rapports de couple. Mais même si l’on sent l’effort de l’auteur pour donner une voix propre à chacune, je dois dire que ce n’est pas suffisant. Je n’ai pas du tout été bluffée, je ne les ai pas imaginées, ces femmes. Des effets, je le disais, il y en a bien d’autres. Le fait de rapporter certains dialogues sans tirets, ni guillemets (p.29). La mise en place, pour introduire la voix de la fille, d’une conversation téléphonique dont on entend les propos d’un seul interlocuteur, ici interlocutrice, entrecoupés donc de petits points (p.24). La retranscription de messages envoyés depuis un portable, écriture sms et abréviations à la clé (pour faire moderne ?) et, sans doute pour être sûr que le lecteur comprenne, la petite indication « … chargement du message en cours » (p.72). Si ces effets ne sont pas ratés, et amènent de la variété, ils restent tout de même un peu gratuits.

     

    Rien de bien plus transcendant dans le fond que dans la forme : l’auteur empile quelques poncifs. La jeune prostituée de l’est arrachée aux griffes d’un réseau, belle, intelligente et en plus honnête, entourées de gens aux âmes troubles, empêtrés dans leurs frustrations et leurs contradictions. Le vieux riche qui se détourne d’une femme qui l’a épaulé depuis des années dans les situations difficiles pour épouser sa baby-sitter, une fille plus jeune et bien foutue. La course entre les agents de police zélés qui piétinent et les journalistes indécents à la recherche de sensationnalisme, etc.

     

    Les chapitres sont courts, le rythme est enlevé et le roman se lit vite et bien mais il est sans envergures selon moi. Le plus grave est sans doute la quatrième de couverture, racoleuse et mensongère. Oubliez tout de suite ce qu’elle vous promet  « véritable tour de force littéraire », « tragicomédie à la fois impitoyable et savoureuse », « un écrivain parvenu au sommet de son art d’illusionniste manipulateur ». Ce livre permet peut-être de passer un moment agréable, mais il se range et s’oublie tout aussi vite.

     

     Une phrase…

    «  Mais si je peux exprimer ma pensée personnelle, une pensée de simple femme, je me bornerai à dire ceci : qu’est-ce qu’on en fait, d’une banque, quand on a perdu l’amour ? » p.275

     

     Un passage…

     

    « Ce que nous savons pour le moment, expliquais-je non sans quelque dissimulation à mes trois dissimulateurs, c’est que Milena a été tuée avant-hier, samedi, probablement en fin de soirée. Mais pas à l’endroit où on l’a retrouvée. L’assassin ou les assassins l’ont transportée dans ce fossé après le crime.

     

    Mais je ne faisais que répéter ce que disaient déjà les journaux, renseignés au préalable par nos soins : le chien qui se mord la queue. Je promenais mon regard de l’un à l’autre, le prêtre, Maria Ludovica, Semeraro, et je pensais doucement : est-ce que ce pourraient être ces trois-là, les assassins ? Un dehors au volant, deux qui entraient dans la villa. D’eux, Milena ne se serait pas méfiée, elle leur aurait ouvert… Sur le portable de la victime, il n’y avait aucune trace d’appels passés ou reçus. Donc, les assassins s’étaient présentés par surprise, sans prévenir. Où était-ce un rendez-vous fixé depuis la vieille, voire depuis plusieurs jours ? Est-ce qu’elle les attendait ? » p.132

     

     


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