• Easter parade de Richard Yates

     Easter parade – Richard Yates

     1976 - Éditions Robert Laffont – pavillons poche

     

      En 3 mots…

     Perdre, photographie, écriture

      

       Impressions de lecture…

               Ma deuxième lecture de Richard Yates. Conquise par Un été à Cold Spring, je me suis lancée avec envie dans ce livre qui traînait chez moi depuis un petit moment déjà. Et je n’ai pas été déçue ! (comme pour chacune de mes rencontres avec Yates). Easter parade m’a peut-être encore plus bouleversée que ma lecture précédente car c’est un livre sur la vie, l’existence, la destinée, la trajectoire, l’itinéraire… bref ce voyage que chacun de nous parcoure de sa naissance à sa mort au milieu des autres êtres vivants et de la société dans laquelle il est parachuté. Le roman suit les sœurs Grimes, Sarah la brune et Emily la blonde, de leur enfance jusqu’à leur fin, ou presque. Et comme dans une bonne légende mythologique, la couleur est donnée dès le début, dès la première phrase, dans cette annonce funeste : « Aucune des deux sœurs Grimes ne serait heureuse dans la vie, et à regarder en arrière, il apparaît que les ennuis commencèrent avec le divorce de leurs parents » p.11.

                 Je ne reviens pas sur l’attirance de Richard Yates pour les ratés, les paumés, les perdants, point que j’ai développé dans mon premier billet (que vous pouvez consulter ici). Une fois encore l’auteur trace ici le parcours de deux femmes qui se laissent prendre aux pièges de la vie et de la société. Et le lecteur se demande si vraiment elles auraient pu les éviter, ces pièges ? Est-ce que l’on peut réussir sa vie ? Et que signifie réussir sa vie ? Être heureux/heureuse, peut-être… Une vie heureuse est-elle possible ? Richard Yates n’écrit pas un essai philosophique, pas du tout. Il redonne, au roman toutes ses lettres de noblesse, sa beauté, sa force et sans doute sa raison d’être : par le biais de la fiction, par le pouvoir d’identification, affection, compassion qu’il crée entre le lecteur et les personnages, il traite des grandes questions de l’existence, des émotions et des angoisses humaines.

               En refermant ce livre, j’étais bouleversée,  je l’ai dit. Je me sentais grave comme quelqu’un qui viendrait de toucher à un des grands mystères de l’âme humaine. Est-ce à cause de mon vécu ? du milieu d’où je viens ? des résonnances qui se sont faites en moi entre certains personnages, certains épisodes et des personnes de mon entourage, des épisodes de ma propre vie ? Est-ce pour ces raisons que je me suis sentie si touchée, si concernée ? Certes, Yates traite de thèmes inhérents à la nature humaine, au-delà des classes et des époques : l’enfance, l’amour (filiale, parentale, fraternel, amoureux…), le temps qui passe, la vieillesse… Mais il le fait dans un décor bien précis, celui de la middle-class américaine du XXème siècle, ce qui ancre le récit dans une certaine réalité, avec certains ingrédients (le divorce, la fac, la libération sexuelle des années 60, l’alcool, la maison de retraite). Les personnages principaux sont très attachants et leurs aventures émouvantes. Les sentiments, les contradictions, les faiblesses et le temps qui passe sont peints merveilleusement. Richard Yates est un virtuose en la matière. Et c’est ce qui tisse ce lien de proximité entre le lecteur et les personnages.

               Pour les sœurs Grimes, la question du bonheur est réglée d’avance comme l’annonce la première phrase. Pourtant, Yates ne décrit pas ici des vies de malheurs sur lesquelles le sort s’acharne. Non, l’auteur nous raconte des vies, tout simplement, avec leurs lots de joies, d’amour, de petit succès et de grandes désillusions, de chagrins, d’obstacles et de deuils. Il nous montre deux femmes, disposant de leur libre arbitre, face à l’existence, aux possibilités de leurs destins respectifs. Mais il nous montre aussi et surtout comment, par quel mécanisme de vie, de société, de pensée, de lâcheté, des choix importants dans leur vie leur échappent… sans en faire trop, sans souligner outrageusement les rouages, sans nous dire ce qu’il faut comprendre, sans tomber dans le pathétique et la caricature. La vie nous façonne. La vie fait vieillir, autant que le temps. La vie est faite d’accidents, la vie blesse et laisse des traces. Ainsi cet épisode, très fort, au début du roman et qui conclue le premier chapitre, dans lequel Sarah se blesse de manière assez impressionnante, lors d’un jeu d’enfant sous les yeux de sa sœur Emily : « L’œil de Sarah ne fut pas abîmé – ses grands yeux d’un marron profond demeureraient le trait dominant d’un visage qui deviendrait beau – mais jusqu’à la fin de ses jours, une jolie cicatrice bleuâtre se balancerait de son sourcil à sa paupière, tel un trait de crayon hésitant, et Emily ne pourrait jamais la regarder sans se souvenir comme sa sœur avait bien supporté la douleur. » p.21. Comme l’écrit John Steinbeck dans Une saison amère  «  Être vivant, de toute façon, c’est avoir des cicatrices. » (Il s’agit d’ailleurs de la phrase que j’ai choisie dans mon billet sur cette œuvre, à lire ici).

               Oui, Yates écrit sur la vie, avec sensibilité et acuité. La fin du roman laisse tout de même un peu de place à l’espoir. Et semble nous dire, en filigrane, que la clé est la « famille », dernier mot du roman (dans la version française comme dans la version originale). C’est elle la source des tourments, des traumatismes, des carences et des choses à payer,  c’est peut-être elle aussi la source du bonheur…

     

     Une phrase…

    «  Une intellectuelle pouvait avoir une mère qui montrait sa culotte chaque fois qu’elle était saoule, mais elle s’arrangeait pour que cela ne la touche pas. » p.75

     

     Un passage…

     « Moins d’un an plus tard, il retourna en Californie, et cette fois, son absence fut remplie de silence et de terreur. Elle ne pouvait même pas projeter d’aller le chercher en voiture, parce qu’elle n’était pas sûre du jour ou du soir de son retour, et encore moins de l’heure de son vol. Elle ne pouvait qu’attendre, essayer d’apaiser le mécontentement d’Hannah Baldwin durant les heures de bureau et réprimer sa vive tentation de boire jusqu’à sombrer dans le sommeil, chaque soir.

     

                À un moment, au cours de cette période, alors qu’elle reprenait le chemin du bureau après le déjeuner, elle remarqua une femme au visage hagard et aigri – un visage dont n’importe qui aurait convenu qu’il vieillissait mal (avec des yeux ridés aux cernes profondes, une bouche molle, une moue amère) – et se rendit compte avec stupeur qu’il s’agissait de son propre reflet, surpris dans une vitrine. » p.299-300

     

     


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