•  Magnétisme & autres nouvelles – Francis Scott Fitzgerald

     1927-1937 - Éditions La Nerthe

     

      En 3 mots…

     Alcool, sentimental, train

      

    Impressions de lecture…

                  Je suis une grande amoureuse de Francis Scott Fitzgerald depuis, qu’à treize ou quatorze ans, j’ai lu Gatsby le Magnifique sur une plage de Camargue pendant les vacances d’été. J’ai dévoré à peu près tout ce que j’ai pu trouver de lui traduit en français. Alors, quand je suis tombée, en librairie, sur ce recueil renfermant quelques nouvelles inédites en français, je n’ai pu m’empêcher d’emporter avec moi ce précieux butin. Il n’a pas attendu bien longtemps dans ma bibliothèque, seulement que je termine Mrs Dalloway de Virginia Woolf (billet ici). Si je ne me trompe pas, sur les huit nouvelles que contient cet ouvrage, il y en a trois que j’avais déjà : « Un cas d’alcoolisme », « Magnétisme » (toutes les deux dans le recueil intitulé Un Diamant gros comme le Ritz aux Éditions Robert Laffont -  Pavillons poche) et « Plus qu’une simple maison » (dans Entre trois et quatre, Love Boat II, aux Éditions Belfond – livre de poche). Mais, je les avais lues il y a bien longtemps et les redécouvrir a été un plaisir. À chaque fois que je lis, ou relis, Fitzgerald, je comprends, je me souviens, pourquoi je l’aime tant.

                      Ces trois nouvelles, déjà publiées ailleurs, sont sans doute les plus brillantes et les plus abouties. Reste le plaisir de déambuler dans l’époque et l’univers de Fitzgerald et une surprise : « Un bref voyage de retour » aux tonalités fantastiques. Hormis la satisfaction, pour les aficionados de l’auteur, de lire et de posséder quelques pages de plus,  la présente édition n’apporte rien de bien intéressant. Elle recycle quelques textes pour accompagner les inédits et étoffer suffisamment l’ouvrage. Pas de pré ou postface, pas de notes, rien qui viendrait enrichir le tout. L’éditeur exploite l’aura de Fitzgerald comme le laisse clairement comprendre le graphisme de la couverture – profil de l’auteur et nom en gros et en police rétro, à la vertical, comme une enseigne – et jusqu’au titre – qui contient l’idée d’une force attractive –, tout est en effet réuni pour nous attirer.

    L’ouvrage s’ouvre sur « Un cas d’alcoolisme », le récit d’une rencontre entre une jeune infirmière et un homme dépendant de la boisson. Un mal que Fitzgerald connait bien, et ce depuis ses années d’université. Cette nouvelle, qui date de 1937, est écrite dans une période difficile pour Francis Scott : il est tombé depuis 1935 dans une dépression incurable et a fait paraître, au printemps 1936 « La Fêlure », un texte bouleversant dans lequel il explore son impuissance à exercer son métier d’écrivain. Il l’a dit lui-même : «Je vais écrire tout ce que je peux écrire sur le fait que je ne peux pas écrire.». Les six premières nouvelles du recueil appartiennent à cette période puisqu’elles sont écrites après 1935, les trois dernières sont antérieures. La conclusion d’ « Un cas d’alcoolisme » brille d’une lucidité triste et amère : « C’est juste qu’on ne peut pas vraiment les aider, et c’est décourageant… tout ça pour rien. » (p.15)

     

    « Je ne suis pas parti au front » exploite un thème récurrent chez Fitzgerald, celui de ces jeunes hommes enrôlés dans l’armée américaine pendant la première guerre mondiale mais qui n’ont jamais traversé l’océan pour aller combattre en France (amère blessure). Le texte se termine par un retournement plein de sens. « Des nouvelles de Paris… Il y a quinze ans » mêle pérégrinations dans la ville lumière (Champs-Élysées, Ritz, Café Dauphine, Exposition d’arts décoratifs en bord de Seine, Rive gauche, chez Lipp)  et flirt, ou  jeux de séduction. « La décennie perdue » porte un titre évocateur. « Motif en plâtre » crée un joli parallèle entre une cage de plâtre et d’acier - matériel médical pour tenter de soigner les dégâts d’une « chute de onze mètres » - et la cage psychologique de l’amour et de ses tendances exclusives. « Plus qu’une simple maison » nouvelle brillantissime et savoureuse pourrait se résumer ainsi : un homme, trois sœurs et une maison, temple de la famille et des souvenirs. C’est beaucoup une maison, elle traverse les années, mais elle n’est pas soustraite aux marques du temps. Où que l’on soit, où que l’on aille, elle se dresse quelque part, comme un pivot, ancrée dans le sol, elle peut vous forcer à revenir… Trois sœurs, trois amours, trois périodes : voici la structure ternaire qui semble chère à Francis Scott : « Une nouvelle est réussie si elle est écrite d’un seul mouvement ou en trois temps. La nouvelle en trois temps doit être écrite en trois jours, plus un jour environ pour la revoir, et elle vous quitte.». « Un bref voyage de retour » débute sur une autre marotte de l’écrivain : le jeune garçon amoureux d’une fille inaccessible : « l’année prochaine, elle serait à jamais hors de ma portée » p.96. Le texte nous emporte dans une intrigue passionnante, au fil d’une écriture délectable. Le récit ouvre quelques brèches et penche vers le fantastique. Il nous laisse entrevoir le succès amoureux du narrateur et décline, comme dans « Plus qu’une simple maison », le motif de la demoiselle redevable envers son sauveur et liée à lui pour la vie. Est-ce une réalité, ou une simple illusion ?

     

    Enfin, il y a dans la nouvelle qui donne son titre au recueil, « Magnétisme », comme un avant-goût de deux autres romans de Fitzgerald : Le Dernier Nabab (roman inachevé publié en 1941 après sa mort) et Tendre est la nuit (1934), le monde fascinant du cinéma, le triangle amoureux... La nouvelle se referme comme une boucle et nous offre des lignes magnifiques sur la manipulation amoureuse (l’art de manipuler les autres, mais aussi et surtout soi-même), Fitzgerald excelle dans ce domaine ; Mention spécial à l’épisode du rêve de la p.155 et à la fin p.172-173. La phrase finale conclue d’ailleurs le recueil en beauté, ensemble de textes qui balancent entre exaltation de l’amour, de la vie et désespoir et autodestruction : « Puis il regagna sa voiture qui l’attendait et Dolores, s’asseyant sur une marche du perron, se frotta les mains dans un geste qui pouvait tout à la fois exprimer l’extase ou la strangulation, et elle regarda la pâle et mince lune monter dans le ciel de Californie. » (p.173).

       

    Une phrase… 

     

    « Sa peau était de ce rose que l’on rencontre fréquemment dans notre région, jusqu’à ce que les petites veines commencent à éclater aux alentours de quarante ans ; en cet instant, avivé par le froid, c’était un méli-mélo d’adorables roses délicats comme autant de carnations différentes » p.113

     

    Un passage… 

     

    «          - Je lui ai dit que je t’aimais, lui avait dit Mary – et il l’avait crue, je lui ai dit que je ne pourrais jamais aimer personne d’autre que toi.

     

    Et malgré tout, il n’était pas sûr de ce que Mary ressentait quand elle attendait Joris dans son appartement. Il était incapable de dire si, quand elle souhaitait bonne nuit sur la porte, elle se sentait soulagée ou bien si elle faisait les cent pas dans son salon avant de prendre un livre qu’elle laissait retomber sur ses genoux pour contempler le plafond. Ou bien si son téléphone sonnait encore une fois pour se souhaiter bonne nuit encore une fois.

     

    Martin ne s’était pas soucié de ce genre de choses au cours des deux premiers mois de leur séparation quand il était sur pied et en bonne santé. » p.50-51

     


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