•  Avenue des Géants - Marc Dugain

    2012 - Éditions Folio

     

     

     En 3 mots… 

     

    Mère, route, tête

     

     Impressions de lecture… 

     

    De Marc Dugain j’avais lu et beaucoup aimé, il y a plusieurs années, La Malédiction d’Edgard. Dans ce livre, déjà, j’avais pu apprécier son habilité à mêler l’histoire avec un grand H à la petite histoire, romancée, d’une personne qui a réellement existé : J. Edgar Hoover, patron mythique du F.B.I. C’est aussi ce qu’il fait dans Avenue des Géants. Ici, l’auteur a choisi un individu tout aussi extraordinaire : un géant qui mesure plus de deux mètres, avec un QI largement au-dessus de la moyenne. Il s’inspire d’un des serial killers américains les plus tristement célèbres du début des années 1970 : Edmund Kemper, qu’il rebaptise Al Kenner dans le roman. Kemper a assassiné dix personnes, dont ses grands-parents qu’il abat avec un fusil alors qu’il n’a que quinze ans. Il a tué six jeunes femmes, souvent des autostoppeuses qu’il décapitait après leur exécution et dont il emportait les têtes. Il commet ses deux derniers meurtres en tuant sa propre mère et une de ses amies. Il joue ensuite aux fléchettes en utilisant la tête de sa mère pour cible et a un rapport sexuel avec son corps. Bref, un véritable film d’horreur.

     

                Marc Dugain retrace l’itinéraire, romancé je le répète, de cet esprit torturé. De son premier meurtre à l’adolescence, jusqu’à son arrestation ; en passant par l’évocation de son enfance, son séjour en hôpital psychiatrique après avoir été diagnostiqué schizophrène, ses parcours concomitants de tueur et de jeune homme ordinaire et timide. C’est par « la fin » que l’histoire commence : en prison, où Al Kenner purge une peine à perpétuité. Une femme vient le visiter, elle s’appelle Susan, elle est secrètement amoureuse du criminel depuis des années. Au milieu du livre, dans un effet de retournement un peu gratuit, l’identité de cette femme est révélée au lecteur (ainsi qu’à Al Kener d’ailleurs). Nous avons donc deux fils narratifs : le récit d’Al à la première personne, qui revient sur son parcours ; et les passages à  la troisième personne qui décrivent  les parloirs entre Kenner et Susan. J’ai trouvé ce double ancrage un peu artificiel et pas très convaincant. Loin d’apporter quelque chose d’intéressant, il fait passer le roman par des méandres convenus : les rapports ambigües entre la victime épargnée et le bourreau, le tueur monstrueux qui peut cependant inspirer de l’amour à une femme, la mécanique d’attirance-répugnance, comment l’assassin dédaigne et fuit les femmes à qui il peut plaire etc…

     

                Ces deux narrations entremêlées et qui ne sont pas équitables – le récit à la première personne représente la plus grosse partie du roman – permettent une mise en abyme elle aussi attendue : puisque Al discute avec Susan du manuscrit qu’il est en train de rédiger sur lui, sa vie, son parcours. Ces échanges sont d’ailleurs prétexte à un passage un peu didactique (p.202) en forme de réflexion sur la possibilité et la difficulté d’écrire et de lire pareil récit : que peut-on raconter et comment ? Quelle est la légitimité de l’auteur qui s’approprie l’histoire ? Est-ce malsain d’offrir une forme de postérité à ce genre de personnage ?… mais ce n’est pas pour la postérité ! Non, c’est avant tout une plongée dans l’âme humaine ! Car oui, le criminel reste un être humain qui appartient à notre « communauté »… (bon, là j’ai tout dit, plus besoin de lire le passage) ; On sent l’écrivain qui s’est posé (vite fait…) des questions et qui nous les expose (vite fait aussi, parce que bon, c’est pas un livre philosophique non plus). Ça sonne bizarre. Il n’y avait pas besoin de ça – ni de nous rappeler qu’Ed Kemper, alias Al Kenner, n’est pas un phénomène de foire, ni de nous pousser à l’imaginer dans les yeux amoureux d’une femme – pour qu’on saisisse que cet homme est un être humain, avec tout ce que cette idée comporte de sordide, d’effrayant, d’inacceptable.

     

    Car Marc Dugain maîtrise l’art du récit, il trace le décor psychologique essentiel à la construction du personnage : mère tyrannique et cruelle, père absent, sœur brutale, désamour, blocage affectif etc. Il a le mérite de raconter l’histoire sans en faire trop, sans tomber dans le sensationnalisme et compose un portrait convaincant de tueur froid. La vraie réussite du livre n’est pas là, selon moi, mais dans la toile de fond historique que l’auteur peint et utilise habilement : l’explosion du mouvement hippie en pleine guerre du Vietnam. Le contexte politique et social de l’époque offre des contrastes passionnants entre le patriotisme, le soutien apporté aux jeunes soldats qu’on envoie se battre en Indochine et les voix contestataires d’autres jeunes qui prônent la paix et pratiquent l’amour libre.

     

    Il me semble qu’il y a comme quelque chose de « raté » dans ce roman, qui m’a laissée plutôt tiède. Les dernières pages cependant m’ont happée, je n’ai pas pu arrêter ma lecture malgré l’heure tardive. Peut-être en ai-je eu simplement ma claque des récits sur les tueurs… Car, peu de temps avant, je venais de lire l’énorme pavé de Norman Mailer Le chant du bourreau. Mailer qui voulait, avec cette œuvre, faire mieux que De Sang Froid et qui selon moi (je brise le suspense…)  a échoué. Il faut le dire clairement : difficile de faire aussi bien. Ce qui ne signifie pas qu’il faut cesser d’essayer… Définitivement, mieux vaut lire Truman Capote, inventeur du genre,  indétrônable (et de loin) et, qui du haut de son immense talent, doit regarder tout ça avec un petit sourire en coin.

     

    Une phrase… 

     

    « Je revois le docteur Cadwick me disant pendant ma grossesse : « Arrêtez de vous agiter, madame Kenner, ou vous allez faire une fausse couche ! » mais si je le voyais là maintenant, je lui dirais : « Je suis la première femme à avoir fait une fausse couche menée à son terme » p.216 

     

     Un passage…

     

    «  J’ai levé la tête, aspiré par le ciel étoilé, lorsqu’un daim a surgi dans mes phares. Je n’ai pas cherché à l’éviter. Il a basculé au-dessus de moi et alors que je pensais m’en être sorti, je me suis retrouvé par terre. Tant qu’on n’a pas chuté aussi lourdement, on n’a aucune idée du poids qu’on fait vraiment. Pendant le bref instant que j’ai passé en l’air, j’ai pensé m’en sortir sans une égratignure aussi bien qu’à mourir, et les deux solutions me convenaient. La moto couchée sur la route, le phare avant m’éclairait comme une torche. J’ai vu mon bras gauche en angle droit et mon pied qui avait dévié de ma jambe. La douleur a succédé à la surprise, avivée par mon sentiment d’impuissance. Le silence est revenu et je l’ai senti fier de s’être débarrassé de moi. Mon instinct de conservation a repris le dessus et je me suis glissé jusqu’au bas-côté pour éviter de me faire écraser si par le plus grand des hasards une voiture avait l’idée d’emprunter cette route à une heure pareille. » p.252

     

     


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