• Ne Tirez pas sur l'oiseau moqueur d'Harper Lee

     Ne Tirez pas sur l’oiseau moqueur  - Harper Lee

     1960 - Éditions Le Livre de Poche

     

     En 3 mots…

     Enfance, rue, honnêteté

     

    Impressions de lecture…

                Je ne sais pas quand j’ai entendu ce titre pour la première fois, « Ne Tirez pas sur l’oiseau moqueur » (que je trouvais assez mystérieux) et le nom de son auteur, Harper Lee. J’ai l’impression de l’avoir en tête depuis très longtemps… Comme une référence, un classique de la littérature américaine. Pour moi, fan de Capote, Harper Lee revenait de temps en temps, au détour d’une biographie de Truman, d’un film, puisque Capote et elle étaient amis depuis l’enfance, elle l’accompagna dans le travail préparatoire sur De Sang froid. Régulièrement, sur les étagères des librairies, je voyais ce titre, je lui tournais autour, sans jamais le ramener chez moi…D’ailleurs j’ai fait la même chose pour De Sang froid, je savais que c’était un monument de la littérature, une œuvre qu’il fallait et que je voulais lire, une lecture qui sans doute me transformerait, d’une certaine façon, ou transformerait mon rapport aux livres, à l’écrit, à la littérature, mais j’ai attendu longtemps avant d’avoir vraiment envie et surtout de me sentir prête à plonger dans ce récit (j’en parle ici, dans le billet sur Virginia Woolf). Et bien il a fallu du temps aussi pour que la lecture de ce roman d’Harper Lee s’impose, le temps d’attendre le bon moment.

    La postface n’est pas très riche, mais éclaire la lecture du roman de quelques informations historiques, biographiques, intéressantes et propose quelques pistes d’analyse, très succinctes et rapidement esquissées. Ce n’est pas un mystère, Ne Tirez pas sur l’oiseau moqueurs contient beaucoup d’éléments autobiographiques. Harper Lee a puisé dans ses propres souvenirs d’enfance, dans son vécu pour construire son roman. L’histoire est racontée par Scout, une petite fille à l’esprit vif, un peu garçon manqué. Elle vit avec son père, Atticus Finch, avocat, et son frère aîné, Jem, dans une petite ville d’Alabama, Maycomb. Sa mère est morte et Calpurnia, une gouvernante noire, travaille chez eux. Scout et Jem se lient d’amitié avec un enfant de leur âge, Dill, qui vient passer les vacances chez sa tante à Maycomb. Les trois enfants se piquent de curiosité pour la maison voisine, qui reste toujours fermée et dans laquelle Boo Radley vit reclus ; Ils ont dans l’idée de l’en faire sortir. Entreprise qui les excite et les terrifie tout à la fois. Atticus est alors commis d’office pour défendre un homme noir accusé d’avoir violé une jeune femme blanche. Passons rapidement sur les points communs entre la vie de l’auteur et l’univers fictionnel de l’œuvre (l’enfance passée dans un petite ville d’Alabama, le père avocat, le grand frère, le journal local, la gouvernante noire, la figure de la mère absente, le personnage de Dill inspiré par Truman Capote, la maison voisine toujours fermée, des affaires judiciaires similaires opposant noirs et blancs… j’en oublie ou ignore peut-être…).

                Je ne prétends pas dire quoi que ce soit de neuf sur ce livre, devenu un classique. Je veux seulement, comme dans chaque billet, livrer mes impressions, toutes personnelles, de lecture. C’est un roman dans lequel on rentre, à tel point qu’il est triste d’en sortir (ah le petit coup de cafard de la dernière page). Bien sûr il y a dans ce livre quelque chose de très américain qui m’a fait penser à Steinbeck, ou Faulkner : cet ancrage au territoire, un attachement historique au sol : « Il se plaisait à Maycomb, chef-lieu du comté qui l’avait vu naître et grandir ; il en connaissait les habitants qui le connaissait eux aussi et devait à Simon Finch de se retrouver lié, par le sang ou par mariage, avec à peu près toutes les familles de la ville. » (p.16). Chacun connaît l’histoire de ses ancêtres, et comme dans les récits mythologiques, peut se retrouver prisonnier de son nom et de sa lignée, « Miss Caroline, c’est un Cunningham. » p.39, « Il y avait en fait un système de castes à Maycomb qui, selon moi, fonctionnait ainsi : chacun des vieux citadins , la génération actuelle des familles qui vivaient côte à côte depuis des années et des années, lisait à livre ouvert dans les autres familles ; ils ne s’étonnaient ni de leurs attitudes, ni des nuances de leur caractère, ni même de leurs gestes que chaque génération avait répétés et peaufinés. Les affirmations selon lesquels les Crawford-se-mêlaient-de-ce-qui-ne-les-regardait-pas, un-Merriweather-sur-trois-avait-des-pulsions-morbides, les-Delafield-étaient-fâchés-avec-la-vérité. » (p.205). La description du palais de justice et de la prison de Maycomb m’a fait penser à quelques pages de Requiem pour une nonne de William Faulkner (tout le début de ce livre nous conte d’ailleurs la construction du tribunal). « La prison de Maycom était le bâtiment le plus vénérable et le plus hideux de la ville […] c’était un canular gothique en miniature, large d’une cellule, haut de deux, complété par de minuscules remparts » (Ne Tirez pas sur l’oiseau moquer p.234-235) , « Mais, avant tout, le tribunal […] simple carré, du style colonial géorgien le plus simple (et cela grâce à l’architecte parisien qui était en train de créer, à Stupen’s Hundred, quelque chose qui ressemblait à une aile de Versailles entrevue dans un cauchemar gothique lilliputien » (Requiem pour une Nonne, p.59 dans l’édition Folio).

    Harper Lee réussi à tisser, lentement mais sûrement, l’ambiance de Maycomb, la rue de Finch, la maison fermée des Radley, le parcours jusqu’à l’école, bref l’univers de la petite héroïne. D’ailleurs le point de vue de la narration est originale et peut décontenancer le lecteur, car c’est le récit d’une petite fille mais qui n’est plus une enfant au moment où elle raconte. Isabelle Hausser l’explique très bien dans sa postface, aux pages 444-445. Il y a donc un mélange entre le regard de l’enfance, puisque ce sont bien les souvenirs d’une petite fille, et les facultés d’expression d’une adulte. Comme le remarque fort judicieusement Isabelle Hausser, la construction et le rythme du récit son parfaitement maîtrisés, mais sans que cela se voit trop, il demeure quelque chose de libre, de léger, d’insouciant. Ainsi la fin se referme comme une jolie boucle ouverte dès la première phrase et qui prend forme patiemment tout au long des pages et des rebondissements. La fin qui offre d’ailleurs un beau résumé du roman : quand Scout observe la rue depuis le palier des Radley, (p.430-431). Résumé empreint d’une douce nostalgie comme tous les souvenirs d’enfance et qui met en place un échange de points de vue très intéressant. Pour le lecteur se mêlent ici le regard de Boo (puisqu’il s’agit de la vue qu’on peut avoir sur la rue depuis sa maison) et celui de Scout qui se met ainsi « à sa place ». Le regard de Boo qui est aussi un peu celui du lecteur, spectateur extérieur des aventures de Scout et sa famille. Cet épisode est comme un petit pont de plus dans ce récit initiatique : Scout va quitter l’enfance pour devenir une adulte « En rentrant à la maison je me sentis très vieille » (p.431), retenant au passage une leçon de vie, aux accents un peu naïfs sans doute liés à l’âge de Scout : « Atticus avait raison. Il avait dit un jour qu’on ne connaissait vraiment un homme que lorsqu’on se mettait dans sa peau. Il m’avait suffi de me tenir sur la véranda des Radley » (p.431). Harper Lee réussi un tour de force : échapper à l’impression de convenu et de mièvrerie dans cette fin pourtant pleine de bons sentiments. C’est sans aucun doute le filtre de l’enfance, le choix de la narratrice, qui le lui permettent.

    On peut lire sur la quatrième de couverture que « Harper Lee a écrit un roman universel sur l’enfance » et il y a de ça. On y retrouve en effet ce monde de l’enfance avec ses terreurs, sa curiosité, son envie de comprendre et d’apprendre, les fictions que nous nous inventons, par jeu, par besoin de combler le vide, l’appel inquiétant de l’avenir et du monde des adultes, les petites choses prétendument anodines que nous vivons comme de grands évènements potentiellement dévastateurs. Le roman parle à cette part d’enfance que nous gardons tous en nous, constitutive de l’adulte que nous sommes devenu, mais que nous avons tendance à museler parfois. Oui, il murmure aussi à l’adulte de ne pas oublier, quand il se trouve face à un enfant, qu’il en fut un : « Quand un enfant te demande quelque chose, réponds-lui, bon sang ! Mais n’en fais pas tout un plat ! Les enfants sont des enfants, mais ils savent repérer une esquive plus vite que les adultes et toute esquive les embrouille » (p.140).

     

     

     Une phrase…

     

    « Les clowns sont tristes, c’est les spectateurs qui rient d’eux. » p.336

     

     

     

     Un passage…

     

    « - J’essaie de leur fournir une raison, vous voyez. Ça aide les gens de pouvoir se raccrocher à une raison. Quand je vais en ville, ce qui est rare, si je titube un peu et que je bois dans ce sac, les gens peuvent dire Dolphus Raymond est sous l’emprise du whisky – c’est pour ça qu’il ne changera pas sa manière d’être. Il n’y peut rien et c’est pour ça qu’il vit ainsi.

     

    - C’est pas honnête de vous faire passer pour plus mauvais que vous n’êtes déjà…

     

    - Peut-être, mais ça rend bien service aux autres. » p.311

     


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