•  

    Sévère – Régis Jauffret

    2010

    Éditions Points

     

     En 3 mots…

    Latex, autodestruction, million

     

     Impressions de lecture…

     

                J’ai vu le film adapté du roman et c’est ce qui m’a donné envie de le lire. Un long métrage d’Hélène Fillières, intitulé Une Histoire d’amour, avec Laetitia Casta et Benoît Poelvoorde dans les rôles titres. Le talent de comédien de Poelvoorde que j’apprécie énormément, la beauté de Laetitia, l’ancrage littéraire et l’aura sulfureuse du fait divers m’avaient attirés. Déception. Le film et son esthétique froide, clinique, (sans doute en résonnance avec l’écriture de Jauffret et le tempérament du personnage masculin principal) ne m’ont pas convaincue. Pas assez psychologique, on reste trop en dehors, trop loin des personnages. Pas assez vénéneux. Bref, il a eu au moins le mérite de me faire lire Jauffret. Le livre est meilleur, bien meilleur. Sévère est donc un petit roman, à peine un peu plus que 150 pages dans l’édition de poche de Points. Il tire son sujet d’une affaire criminelle retentissante qui a fait la une des journaux en 2005 : à Genève, un jeune et riche banquier, Édouard Stern, est trouvé tué par balle, revêtu d’une combinaison en latex. C’est sa maîtresse, Céline Brossard, qui est l’auteur de ce meurtre et qui sera condamnée. Une relation sadomasochiste, dans laquelle se mêlent argent, pouvoir, amour et paranoïa… de quoi faire un synopsis croustillant. Une expression consacrée par l’usage dit que la réalité dépasse la fiction. En effet, la réalité accouche parfois de monstres et d’horreurs qui ont de quoi fasciner et inspirer les imaginaires.

     

    Dès le préambule l’auteur se justifie, se disculpe, et en appelle aux grands écrivains comme Rabelais, Balzac, Flaubert ou Proust pour dire que son récit, s’il tire sa « substantifique moelle » (et là c’est bien Rabelais que je cite et non Jauffret) d’un véritable crime est bien une œuvre de fiction et que la fiction a tous les droits (idée que par ailleurs, je partage). Mais cela se contredit, vire au plaidoyer de défense (ce qui n’a pas empêché la famille Stern de porter plainte en demandant le retrait du livre), s’enlise dans les belles images, fait passer l’auteur, pourtant amateur du glauque et de la provocation et qui, il le dit lui-même dans ce préambule, ne respecte pas la morale, pour un timoré. Mais nous voilà prévenu, le livre n’est pas un document, l’histoire est romancée, oubliez les attaches véridiques qui vous ont peut-être poussé à l’acheter… Bref autant entamer tout de suite le roman c’est lui qui devrait donner corps à ce projet littéraire et fictionnel et par là même se charger de le justifier…

     

    La première page annonce la couleur, tant dans l’intrigue que dans l’écriture. En une dizaine de lignes, on apprend le meurtre, dans quelles conditions, que la narratrice est la coupable (tout le  roman est à la première personne) et qu’elle prend la fuite. La construction est plutôt convenue et fréquente dans les polars : partir du meurtre et remonter le fil de l’histoire, par le biais de retours en arrière qui viennent s’intercaler dans le récit de la cavale puis de l’arrestation et de l’interrogatoire. Le style est sec et nerveux, avec des phrases courtes, efficaces et claires comme des coups de révolver qui claquent dans l’air. Pas de langue de bois, pas de tergiversation. Le tout donne un débit un peu précipité, en adéquation avec la cavale de la narratrice. Les phrases plus longues se détachent et déploient tout leur sens. Le lecteur reste aux aguets. Régis Jauffret est un styliste. Le titre tient en un seul mot, judicieusement choisi qui renferme tout à la fois les notions de contrôle, de soumission et de punition (le Petit Robert donne en premier sens « qui n’admet pas qu’on manque à la règle ; prompt à punir ou à blâmer), le caractère dur et impitoyable et l’idée de gravité.

     

                Du convenu, de l’attendu, de la « psychologie » facile il y en a : le triangle amoureux, le mari bon ami avec qui on ne couche pas et auquel on impose de faire chambre à part, la femme vénale, au passé de petite fille abusée et qui a appris la prostitution comme une fatalité réjouissante, le milliardaire radin, paranoïaque et collectionneur d’armes à feu. Bien sûr il y a le saupoudrage sadomasochiste : poignets attachés, pénétration avec trique, fouet, coups, combinaison en latex… On n’a pas besoin de ces ingrédients pour mettre en scène les douleurs, les humiliations et les rapports de forces des relations amoureuses, nombre de grands auteurs nous l’ont prouvé. Car c’est bien d’une histoire d’amour dont il s’agit, c’est ce que Régis Jauffret veut nous montrer. Est-ce là la force du livre ? Peindre l’amour à travers la relation sadomasochiste ? Je n’y crois pas. Pas de quoi rester scotchée. Nous livrer un portrait de femme complexe ? Betty, qui veut se croire aimée parce qu’elle se donne un prix, parce qu’elle vaut un million arraché à son amant, l’argent, mais derrière il y a toujours autre chose… qui a des rêves de midinette « un jour il ne pourrait faire autrement que m’épouser » (p.31), car tout ce qu’elle veut, désespérément, violement, c’est être désirée « il était le seul homme à m’avoir à ce point voulue » (p.81). Oui, cette perspective est intéressante et d’autant plus que se dessine en creux la personnalité de cet homme qui n’est pas nommé, lui, son amant, son bourreau, son esclave. C’est ce qui m’a intéressée. Régis Jauffret met en scène l’autodestruction jusqu’à son expression la plus aboutie : le suicide par personne interposée. Il nous montre comment cet homme puissant, qui se sent menacé et sans doute terrifié par l’idée d’être assassiné, un homme lâche que l’humiliation d’avoir été réformé a traumatisé, fait de cette femme son bras armé. L’a-t-il formée, manipulée pour qu’elle le tue ? Consciemment, inconsciemment ? « Je l’avais préservé du martyre. […] J’ai peut-être préféré le tuer pendant l’amour pour lui épargné d’être assassiné dans la haine au fond d’une cave » (p.108-109). Mais le thème n’a pas été exploré jusqu’au bout selon moi… difficile en donnant la parole à un seul des personnages et sans trahir ce postulat.

     

                Régis Jauffret échoue, sans doute de peu, à signer un roman magistral, n’est pas Truman Capote qui veut. La brièveté et l’aridité de sa verve en sont peut-être la cause, sa sévérité… Car en réfléchissant bien, je trouve surtout qu’il ne s’éloigne pas assez des clichés et des sentiers battus… où est-elle la transgression promise ? timoré, comme je le disais… je l’ai sentie dès le préambule.

     

     Une phrase…

     

    « Il s’était confié à moi, un soir de panique, d’une seule traite, des phrases qu’on auraient dîtes enfoncées l’une dans l’autre pour que dure moins longtemps la douleur de les dire » p.69

     

     

    Un passage…

     

    « - Il était très avare. Quand il a accepté, j’ai compris qu’il m’aimait. J’avais une valeur, j’étais aussi précieuse pour lui que le carnet de croquis de Picasso qu’il avait acheté en octobre à Drouot. C’est un échange, l’amour. Je m’étais donnée tout entière à lui, et c’était vraiment tout ce que j’avais. Il pouvait bien me donner un million. C’était une partie minuscule de sa fortune. Comme si moi, je m’étais coupé une mèche de cheveux pour qu’il la porte en médaillon. » (p.140)

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique