•  Mrs Dalloway – Virginia Woolf

    1925 - Éditions Gallimard – Folio classique

     

    En 3 mots…

     

    Mondanités, impression, temps

     

     

    Impressions de lecture...

     

    Cela faisait un moment que je lui tournais autour sans oser l’aborder… Virginia Woolf… Je ne savais pas grand-chose d’elle… Qu’elle était une grande voix féminine de la littérature… et régulièrement je prenais un de ses livres sur les rayonnages des librairies, avant de le reposer, en me disant « un jour il faudra… », « un jour, je la lirai… », « Est-ce que ça me fera autant d’effet qu’on le prétend ?... ». J’ai vécu la même chose avec d’autres auteurs et d’autres bouquins, notamment le « De sang froid » de Truman Capote, il a fallu du temps avant que je sois prête à m’y plonger, j’ai même dû m’accrocher un peu durant les premières pages et je ne l’ai pas regretté. Et bien je suis aussi ravie d’avoir attendu le bon moment pour rencontrer Virginia.

     

                J’ai trouvé l’écriture de Virginia Woolf surprenante et difficile à décrire sans la trahir, sans la réduire. Lire Woolf ce serait comme écouter un morceau de musique expérimentale dans lequel mélodies, dissonances, envolées et bruits infimes se mêlent pour constituer une expérience singulière et  foisonnante… quelque chose à la fois hors du cadre et dedans. Car, dans Mrs Dalloway,  sa plume semble partir dans tous les sens et, dans le même temps, on sent l’effort de construction, jusque dans l’architecture de la scène finale, j’y reviendrai. On lit une femme qui aurait dénudé cerveaux et cœurs, les siens surtout, les aurait libéré de leurs membranes pour les mettre à vif afin de mieux les entendre palpiter. Pour cette raison on a vraiment le sentiment de se trouver en présence d’une écriture de l’impression. Virginia Woolf le dit elle-même, comme rapporté dans la préface (p.9), elle veut saisir les « myriades d’impressions, banales, fantastiques, évanescentes ou gravées avec l’acuité de l’acier ». Une écriture fine, forte et terriblement touchante donc. À cette gamme d’émotions et de sensations, s’ajoute un regard perçant sur les personnages qui, en quelques mots bien sentis, pointus comme une lame de scalpel, révèle les caractères. On pourrait presque parfois la trouver un peu cruel avec eux, mais au détour d’une phrase, d’un paragraphe, on sent une once de bienveillance poindre, signe d’une exigence douloureuse et nous laissant penser que si elle est dure avec ses personnages elle l’est sans doute encore plus avec elle-même.

     

                Les échos autobiographiques se font entendre, bien que je ne connaisse pas précisément la vie de Virginia Woolf. Mais il y a dans le livre des choses qui lui sont très personnelles, très intimes, c’est évident. Je n’ai pas encore parlé du sujet : dans ce roman l’auteur raconte la journée de Mrs Dalloway, une londonienne élégante de la bonne société. Une journée traversée par les souvenirs et l’intrusion d’autres personnages, plus ou moins proches d’elle. Virginia Woolf s’impose donc une unité de temps (les quelques heures d’une journée, de la sortie matinale de Mrs Dalloway jusqu’à la fin de la soirée qu’elle organise chez elle le jour même) qu’elle transgresse par l’ajout de flash-back et de divagations intercalés. Le temps est d’ailleurs un thème central et plus spécialement la fuite du temps. Soulignée par les souvenirs qui s’accumulent, les années écoulées entre chaque retrouvaille et martelée par la sonnerie des horloges dès les premières pages « Et voilà ! Cela retentit ! D’abord un avertissement, musical. Puis l’heure, irrévocable. Les cercles de plomb se dissolvaient dans l’air » (p.62). Le récit quant à lui se déverse sans découpage de chapitres ou de parties. L’auteur ne nous indique pas d’endroits où stopper ou reprendre notre lecture. À nous de voguer dans ce flot ininterrompu sans sombrer, et parfois l’étouffement, la noyade, nous guettent. De rares dialogues, souvent entrecoupés de pensées diverses, et pour cause, les personnages ont bien du mal à communiquer entre eux.

     

    Il n’y a pas d’unité de lieu, si ce n’est la ville de Londres et la maison des Dalloway (d’où l’on part, par laquelle on repasse et où le récit prend fin). Par des effets de constructions, parfois un peu artificiels mais cependant séduisants, les différents personnages se croisent, traversent les mêmes lieux, se mêlent par rencontres interposées. Tout ceci construit une sorte de réseau de correspondances, qui se meut, s’étire ou se resserre, comme une toile d’araignée caressée par le vent. La métaphore m’est d’ailleurs directement inspirée par Virginia Woolf qui l’utilise avec un de ses personnages, Lady Burton, « Peu à peu ils s’éloignaient d’elle, n’étaient plus rattachés à elle que par un mince fil (puisqu’ils avaient déjeuné avec elle) qui allait s’étirer, s’étirer, devenir de plus en plus fin au fur et à mesure qu’ils traverseraient Londres. » (p.209). Des personnages reliés mais qui paradoxalement « ne peuvent établir des contacts ni nouer un dialogue parce qu’ils restent engoncés dans le monde et le passé qu’ils transportent avec eux », comme le remarque Bernard Brugière dans sa Notice sur la genèse de Mrs Dalloway, p.338.

     

                Point d’orgue de cette construction particulière, la scène finale, la soirée chez les Dalloway qui nous offre comme un passage en revue des différents personnages croisés au fil de l’œuvre. Ils prennent tous leurs places autour de l’héroïne, comme si le récit qu’on vient de dérouler n’avait pour but que de nous mener là. Certes cette soirée s’impose comme le point final de « la satire sociale et mondaine » ( Notice […] p.338) tissée à travers le roman, mais surtout, les différentes histoires y prennent tout leur sens. En particulier celle de Septimus, le personnage le plus éloigné de Mrs Dalloway, qui n’est d’ailleurs pas présent physiquement à cette soirée mais seulement dans l’évocation qu’en fait Sir William. Personnage le plus éloigné de Mrs Dalloway dans la sphère sociale et au premier abord (la folie versus l’ordre et le sens de la mesure) mais sans doute le plus proche d’un point de vue psychique et émotionnel, je n’en dirai pas plus pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte à ceux qui n’ont pas encore lu ce livre. De mon côté, il me faudra un peu de temps pour me remettre de cette lecture riche, pénétrante et avant de plonger à nouveau dans le flot puissant de la voix de Virginia Woolf.

     

     

    Une phrase…

     

    « Curieux comme les choses se fixent dans la mémoire ! Par exemple, la mousse d’un vert vif. » p.144

     

     

     

    Un passage…

     

    «  Elle n’arrivait même pas à retrouver l’écho de son émotion d’alors. Mais elle se revoyait soudain transie, palpitante, se coiffant, prise d’une sorte d’extase (et le sentiment d’alors commençait à lui revenir cependant qu’elle enlevait ses épingles à cheveux, les posait sur sa table de toilette, commençait à se coiffer), avec les corneilles qui paradaient en tous sens dans la lumière rose du soir ; s’habillant, descendant, et se disant, en traversant le hall : « Si je devais mourir à l’instant, ce serait à l’instant le bonheur suprême. » C’était ce qu’elle ressentait, le sentiment d’Othello, et c’était aussi fort chez elle, elle en était sûre, que le sentiment que Shakespeare avait voulu donner à Othello, et tout ça parce qu’elle descendait dîner, en robe blanche, pour retrouver Sally Seton ! » p.104-105

     


    4 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique