• Une Saison amère de John Steinbeck

    Une Saison amère - John Steinbeck

    1961 - Éditions Jean-Claude Lattès, livre de poche

     

     En 3 mots…

    Maison, clarté, déception

     

     Impressions de lecture…

    John Steinbeck est un très grand écrivain, il n’est pas besoin de le préciser. Prix Nobel de littérature en 1962, ses œuvres majeures ont marquées la littérature américaine et mondiale. Une Saison amère est son dernier roman. J’ai pris beaucoup de plaisir à le lire, je l’ai savouré en vérité. Et comme pour mes autres lectures de Steinbeck, j’ai ressenti le besoin de marquer des passages, de souligner des phrases. Ses analyses humaines me touchent et me parlent. Le style est riche et plaisant.

                Une Saison amère… les initiales du titre en français (car le titre original est The Winter of our discontent), je m’en suis rendue compte lors de ma prise de notes, font U.S.A. C’est drôle et c’est un joli clin d’œil. John Steinbeck est bien un ÉCRIVAIN AMÉRICAIN et un ÉCRIVAIN DE L’AMÉRIQUE !  L’Histoire, les paysages et les gens de ce pays imprègnent et peuplent son œuvre, ils en sont la matière même… Il écrit sur un territoire et sur ses habitants. Les pionniers, la conquête, les immigrants, le terreau géologique, les petites villes, les mentalités, etc.  Ses livres sont pleins de force et de terre, ils s’enracinent. Mais l’esprit, lui, a le pouvoir de s’envoler. Par moment, je vois en Steinbeck un Jean Giono américain (ils n’ont d’ailleurs que 5 ans d’écart. Et un air de ressemblance ?). Comme le rappelle la quatrième de couverture, le Comité du Prix Nobel a déclaré qu’avec son dernier roman John Steinbeck « donnait à voir la vérité en toute indépendance, avec un instinct impartial pour ce qui est authentiquement américain, que ce soit en bien ou en mal ». En effet, en lisant Steinbeck, on a le sentiment qu’il a su capter et enfermer l’esprit américain, sans complaisance, avec lucidité et franchise.

                Derrière l’histoire d’un homme, Ethan Allen Hawley, petit employé d’une épicerie, Une Saison amère trace habilement une critique des prémices de notre société de consommation, matérialiste, capitaliste, individualiste, corrompue et régie par la recherche du profit. Ethan Hawley est descendant d’une riche famille désormais ruinée. Vestiges de ce beau passé : son nom et sa maison ; La maison des Hawley. Et, pour le héros, ce patrimoine est important, il est comme une caution, il témoigne, il légitime « Au magasin j’étais un raté dans ma maison j’étais un Hawlay » (p.140-141) pense Ethan. Car l’épicerie dans laquelle il travaille appartenait jadis à sa famille, maintenant il n’y est plus qu’un employé. Et autour de lui tout le monde (femme, enfants, connaissances) le presse de devenir quelqu’un d’important, d’avoir de l’ambition, de gagner plus d’argent. Alors qu’Ethan se satisfait d’être simplement quelqu’un de bien. Modèle d’honnêteté, il ne vole pas son patron, il repousse une proposition de pot de vin, il reste fidèle à sa femme. Mais les pressions de chacun vont l’amener à envisager des moyens déloyaux et illégaux de donner à sa famille le confort matériel qu’on lui réclame.

                Il s’entend bien avec sa femme, il l’aime, mais sans passion et sans partager avec elle une communion d’esprit. Il est un père aimant, mais ses enfants sont des individus en construction qu’il ne comprend pas toujours. Je ne connais pas vraiment la biographie de John Steinbeck, je ne sais pas grand-chose de sa vie. Mais en lisant la dédicace du livre « À Beth, ma sœur, dont la lumière brille avec clarté », je ne peux m’empêcher de voir un parallèle entre cette sœur et le personnage de la fille, Ellen, qui semble confirmé par la fin du roman. Cette fille décrite davantage comme une sœur d’ailleurs. L’auteur fait un très beau portrait d’adolescente, un portrait fascinant de féminité en construction (voir par exemple p.99). Les passages sur la femme du héros, Mary sont aussi magnifiques, de délicatesse et de gravité. Enfin, Ethan est un ami loyal, il essaie de venir en aide à un vieux camarade, Danny, qui fut comme un frère pour lui, dans le passé. Mais Danny est devenu alcoolique et sa dépendance a érigé une séparation entre eux. Au milieu de cette foule pressante, de ces gens qui attendent tous quelque chose de lui, comme les clients de l’épicerie qui se succèdent toute la journée, Ethan ressent la solitude. Bien qu’il ne soit jamais vraiment seul, tant les autres prennent part en lui, tant leurs attentes viennent le tourmenter. Même les morts reviennent du passé pour hanter son esprit.

                 Tout une galerie de personnages défile dans le décor, superbement décrit, de ce petit port de la Nouvelle Angleterre. En la matière le début du chapitre 11 (qui commence p.207) est extrêmement savoureux. Un voyage. C’est bien l’impression que j’ai eu en refermant ce livre. Encore secouée par la fin, j’ai eu l’impression de rentrer d’un long voyage, un peu fatiguée, un peu triste (de cette tristesse qui précède la nostalgie) et la tête pleine.

     

      Une phrase…

     «  Être vivant, de toute façon, c’est avoir des cicatrices. » p.122

     

     Un passage…

     «  Je ne sais pas avec certitude comment sont les autres à l’intérieur d’eux-mêmes… ils sont sans doute à la fois tous différents et tous semblables. Je ne peux que me perdre en conjectures. Mais ce que je sais, c’est la façon dont je me contorsionne et me tortille pour échapper à une vérité blessante, et la façon dont, quand finalement je n’ai plus le choix, je fais mine de l’ignorer, dans l’espoir qu’elle s’en aille. Les autres disent-ils d’un petit air sage : « J’y réfléchirai demain à tête reposée », pour ensuite faire fond sur un avenir espéré ou un passé expurgé, comme un enfant qui s’échine à jouer dans le but de nier l’échéance du coucher ?

                 Les pas languissants qui me ramenaient à la maison traversaient le champ de mines de la vérité. L’avenir était ensemencé de dents de dragon fertiles. Il n’y avait rien d’anormal à aller chercher un mouillage sûr dans le passé. Mais sur cette route-là, me barrant fermement le chemin se dressait Tante Deborah, oiseau majestueux lâché sur une volée de mensonges, les yeux pareils à deux points d’interrogation éclatants. » p.296

     


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